Malgré l’utilisation fréquente de médicaments pendant la grossesse et les risques potentiels (à long terme) pour l’enfant, nous manquons de données concernant la sécurité de la plupart des médicaments pendant la grossesse. Puisque les essais cliniques classiques contrôlés par placebo ou randomisés sont généralement impossibles chez les femmes enceintes pour des raisons éthiques, il convient d’optimiser le potentiel des données d’observation du «monde réel». Fin 2022, BELpREG a été mis sur pied. Il s’agit d’un registre unique pour la Belgique dans lequel les femmes (enceintes) répondent à des questionnaires en ligne pour fournir des renseignements concernant, notamment, leur consommation de médicaments pendant la grossesse et les conséquences pour la mère et l’enfant. Après s’être inscrites sur le site www.belpreg.be, les participantes reçoivent des questionnaires en ligne par e-mail toutes les 4 semaines pendant la grossesse et jusqu’à 8 semaines après l’accouchement, puis deux derniers questionnaires 6 et 12 mois après l’accouchement. Toutes les femmes enceintes néerlandophones, francophones et anglophones âgées d’au moins 18 ans et suivies par un professionnel de santé en Belgique peuvent participer. Il est préférable que les femmes commencent à participer au programme dès le début de leur grossesse, bien qu’elles puissent le rejoindre à tout moment. Les femmes qui ne prennent pas de médicaments peuvent également participer. En effet, leur participation est importante pour rassembler suffisamment de «sujets témoins». Les variables BELpREG (BELgian pregnancy REGistry) ont été rédigées en s’alignant sur d’autres initiatives internationales d’enregistrement, dans le but de permettre une mise en commun des données à l’avenir. BELpREG doit servir d’«outil de détection précoce de signaux» afin d’identifier le plus rapidement possible les effets tératogènes des médicaments, mais aussi de démontrer la sécurité des médicaments pendant la grossesse. BELpREG vise donc à contribuer à l’utilisation sûre et rationnelle des médicaments par cette population.
Médicaments pendant la grossesse: un délicat exercice d’équilibre
Les femmes enceintes consomment régulièrement des médicaments en raison d’une maladie chronique (épilepsie, asthme, diabète, inflammations de l’intestin, par exemple), d’une maladie en phase aiguë (comme une infection) ou pour prévenir ou traiter des maladies ou des désagréments liés à la grossesse, tels que la pré-éclampsie ou les nausées et les vomissements. Des recherches récentes menées en Belgique ont montré que près de 90% des femmes se voient prescrire au moins un médicament pendant leur grossesse (1). Par ailleurs, nous savons que les femmes enceintes consomment régulièrement des médicaments en délivrance libre tels que du paracétamol, des antiacides et des laxatifs (2). Des études révèlent que la consommation de médicaments chez les femmes enceintes a augmenté au cours des dernières décennies, y compris au cours du 1er trimestre de grossesse (1, 3, 4).
Cependant, seuls 10% des médicaments sur le marché disposent de données suffisantes étayées par la littérature sur l’innocuité de leur utilisation pendant la grossesse (5, 6). Nous avons constaté par le passé qu’il faut en moyenne 27 ans pour classer un médicament présentant un risque tératogène «inconnu» dans une catégorie (de risque) spécifique (5). Pour certains médicaments, il a été démontré que l’utilisation pendant la grossesse peut être dangereuse et entraîner un risque accru de malformations congénitales, de fausses couches, de retard de croissance, d’effets pharmacologiques chez le nouveau-né (par exemple, hypo-glycémie ou bradycardie) ou de troubles du développement pendant la croissance de l’enfant. Parmi les médicaments tératogènes, on peut citer le valproate, l’isotrétinoïne, le méthotrexate, le topiramate et les anti-inflammatoires non stéroïdiens. Quant aux risques à long terme pour l’enfant, la toxicité du valproate et du topiramate n’a été découverte que des décennies plus tard, mais entre-temps, des milliers d’enfants y ont été exposés in utero.
Pour décider de consommer ou non un médicament pendant la grossesse, il convient toujours d’évaluer attentivement le rapport bénéfices-risques, en tenant compte notamment des risques éventuels liés à l’absence de traitement de l’affection maternelle et de ceux liés à la prise du médicament. Par conséquent, les femmes enceintes et les professionnels de santé ont besoin de renseignements suffisants, fiables et unanimes concernant la sécurité de l’utilisation des médicaments pendant la grossesse, y compris des nouveaux médicaments.
Les données du monde réel offrent des opportunités d’étude de l’innocuité des médicaments pendant la grossesse
Les recherches liées à la sécurité des médicaments pendant la grossesse représentent un véritable dilemme. Les femmes enceintes ne sont généralement pas incluses dans les essais cliniques pour des raisons éthiques. Une fois qu’un médicament est sur le marché, les fabricants sont tenus de surveiller sa sécurité, y compris pendant la grossesse (il s’agit de la pharmacovigilance). Malheureusement, il est difficile pour les fabricants de réunir (rapidement) des données suffisamment fiables sur la sécurité d’utilisation du médicament pendant la grossesse et d’adapter la notice (7). Par conséquent, il faut chercher d’autres moyens pour collecter davantage de données plus rapidement à ce sujet. L’utilisation de données du monde réel pour étudier la sécurité des médicaments pendant la grossesse offre de nombreuses opportunités.
Ces données peuvent être collectées de plusieurs manières. Dans des pays comme la Norvège et la France, les chercheurs utilisent des bases de données de santé connectées (par exemple, les données collectées dans le cadre de l’assurance-maladie). L’utilisation de ce type de données présente certaines limites. Par exemple, vous ne savez pas si le médicament a été utilisé de manière efficace, il manque des informations sur l’âge du fœtus au moment de l’exposition au médicament, sur la dose et la durée de l’utilisation, ainsi que sur les expositions maternelles possibles biaisées/confondantes telles que l’utilisation de médicaments en délivrance libre ou la consommation de substances (telles que tabac, alcool et drogues).
Une autre façon d’obtenir des données réelles plus détaillées consiste à collecter des données à l’aide de questionnaires (en ligne) complétés par les femmes pendant et après la grossesse, afin de constituer de cette manière un registre central et national de données de grossesse. Les femmes sont effectivement les mieux placées pour consigner des informations détaillées sur leur exposition aux médicaments pendant la grossesse (8). Le succès de la collecte de données du monde réel dans un «registre de données de grossesse» dépend du nombre de participantes; il s’agit donc de motiver le plus grand nombre possible de femmes (enceintes) à remplir les questionnaires. Les données des registres nationaux de grossesse peuvent ensuite être regroupées au niveau international. De cette manière, la taille de l’échantillon sera élargie et une décision relative à la sécurité des médicaments pendant la grossesse pourra être prise plus rapidement.
Le registre de grossesse BELpREG en Belgique
Jusqu’il y a peu, la recherche pharmaco-épidémiologique concernant la sécurité des médicaments pendant la grossesse était inexistante en Belgique. En 2022, le registre de grossesse BELpREG (BELgian pregnancy REGistry) a été créé avec le soutien de la KU Leuven (9). Depuis janvier 2024, BELpREG est disponible en néerlandais, en français et en anglais, et est donc déployé à l’échelle nationale (10).
Dans les questionnaires en ligne BELpREG, les femmes (enceintes) partagent leurs expériences concernant leur grossesse, l’utilisation de médicaments, de vaccins, de vitamines, de compléments et d’autres produits de santé. Elles répondent aussi à des questions concernant leur santé et celle de l’enfant. Toutes les femmes enceintes de plus de 18 ans parlant français, néerlandais ou anglais peuvent s’inscrire sur le site www.belpreg.be. Après avoir donné leur consentement éclairé numérique et rempli le premier questionnaire, les participantes recevront un questionnaire (de suivi) par e-mail toutes les 4 semaines, et ce jusqu’à 8 semaines après l’accouchement. Elles recevront les deux derniers questionnaires 6 et 12 mois après l’accouchement pour évaluer la santé et le développement de l’enfant.
Les femmes ne doivent pas nécessairement prendre des médicaments (de manière chronique) pour participer. Il est préférable que les femmes s’inscrivent le plus tôt possible lorsqu’elles sont enceintes, mais elles peuvent rejoindre le programme à tout moment. BELpREG ne se concentre pas sur un médicament ou une maladie en particulier. Il s’agit donc d’un registre générique. Cette initiative entend également recueillir des données auprès de sujets témoins qui ne sont pas malades ou qui ne consomment pas de médicament(s) ou de produit(s) de santé. À l’avenir, un groupe de contrôle est nécessaire à des fins d’analyse pour évaluer si l’utilisation d’un médicament, et/ou la maladie sous-jacente, présente ou non un risque accru de résultats indésirables.
BELpREG a besoin d’un maximum de participantes pour étayer ses connaissances concernant la sécurité des médicaments pendant la grossesse. Chaque cas et chaque exposition ont leur importance dans le cadre de la collecte BELpREG. Ainsi, en partageant leurs expériences, les femmes enceintes actuellement peuvent aider les futures femmes enceintes. C’est pourquoi nous souhaitons faire découvrir l’existence de BELpREG aux femmes enceintes et les inciter à s’inscrire.
Communication
Les activités de recherche de M. Ceulemans sont soutenues par les fonds internes de la KU Leuven. BELpREG a été fondé avec le soutien des fonds internes de la KU Leuven et bénéficie du soutien de Tilman, UCB et de Kela Pharma. L’auteur tient à remercier l’équipe et les membres du groupe de direction BELpREG pour leur contribution dans le cadre du registre BELpREG (Laure Sillis, Pr Veerle Foulon, Pr Karel Allegaert, Pr Annick Bogaerts, Pr Maarten De Vos, Pr Titia Hompes, Pr Anne Smits, Pr Kristel Van Calsteren et Pr Jan Verbakel).